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Corne de l’Afrique, zone franche, des conflits sous faux drapeaux

Plonger dans la réalité de la Corne de l’Afrique, où tensions et guerres de nerfs façonnent la politique régionale.

Une guerre des armes à bas bruit

Les cris d’alarme se multiplient : “la guerre est imminente !”, “le chaos menace !”. Mais quand on éteint le vacarme des déclarations martiales, que reste-t-il ? Des États exsangues, des armées sous-équipées, et une guerre des nerfs orchestrée par des dirigeants en mal de légitimité. Bienvenue dans la Corne de l’Afrique, où les postures valent plus que les batailles, et où la géopolitique se joue à coups de symboles.

Le Memorandum of Understanding (MoU) signé entre l’Éthiopie et le Somaliland début janvier 2024 a allumé la mèche. Officiellement, une bande côtière en location contre une reconnaissance politique. Officieusement, un pari risqué de deux hommes affaiblis : Abiy Ahmed, enlisé dans les conflits internes éthiopiens, et Muse Bihi, président contesté d’un Somaliland fracturé. Tous deux espèrent reconquérir l’opinion par une démonstration de souveraineté.

Mais l’effet boomerang est immédiat. Mogadiscio crie à la trahison, les oppositions internes s’enflamment, la communauté internationale rappelle le droit. L’Éthiopie découvre qu’on ne redessine pas les frontières à la carte, et que le romantisme nationaliste a ses limites quand la trésorerie est vide.

Des alliances fragiles, des intérêts divergents

À cette partie d’échecs grandeur nature, chacun déplace ses pions sans toujours savoir pourquoi. Les Émirats arabes unis, longtemps soutien discret du Somaliland et d’Addis-Abeba, apparaissent comme les parrains silencieux du MoU. Une vengeance diplomatique contre Mogadiscio ? Peut-être. Mais aussi un pari sur une nouvelle donne régionale où les Occidentaux ne sont plus que spectateurs.

La Turquie, elle, a sauté sur l’occasion. Accord de défense, coopération militaire, exploration pétrolière : Ankara transforme son rôle humanitaire historique en cheval de Troie stratégique. Quant à l’Égypte, elle rejoint le jeu en août avec un accord militaire qui sent plus la posture que la stratégie : Le Caire n’a ni les moyens ni les soutiens pour une opération d’envergure. Mais l’objectif est ailleurs : faire pression sur l’Éthiopie via un front sud, tout en s’affichant aux côtés des États faibles pour mieux contrer les ambitions des EAU.

Une fragmentation intérieure habillée en conflit régional

Derrière la façade diplomatique, ce sont les failles internes de chaque État qui dictent les postures. En Somalie, le nationalisme anti-éthiopien permet de camoufler les échecs de la lutte contre Al-Shabaab et d’étouffer l’opposition. Au Somaliland, l’indépendance rêvée devient un prétexte pour marginaliser des régions dissidentes. En Éthiopie, l’accès à la mer est brandi comme un droit historique pour ressouder un pays fracturé par les guerres internes.

Mais cette instrumentalisation géopolitique des fragilités nationales pourrait bien se retourner contre ses auteurs. L’exacerbation des tensions entre États fédérés et pouvoir central à Mogadiscio, ou encore l’émergence d’un nouvel État fédéré issu du Somaliland oriental, sont les premiers symptômes d’un engrenage incontrôlable.

Corne de L’Afrique : L’ombre portée du vide occidental

Ce jeu trouble se déroule dans un silence assourdissant de la part des puissances occidentales. Les États-Unis regardent ailleurs. L’Union européenne s’essouffle. L’Union africaine, quant à elle, semble absente, déjà dépassée par la transition vers une nouvelle mission de stabilisation (AUSSOM).

Ce vide alimente une reconfiguration brutale : les puissances régionales — Turquie, EAU, Égypte — prennent la place laissée vacante. Mais sans cadre, sans modérateur, et surtout sans garde-fou. L’instabilité se propage comme un feu sur une steppe asséchée.

La guerre n’est pas là… mais elle n’est pas loin

La Corne de l’Afrique n’a jamais été aussi proche de basculer, non à cause d’un conflit armé massif, mais par une accumulation de crises internes déguisées en confrontations diplomatiques. Une poudrière régionale, oui. Mais dont les mèches sont allumées de l’intérieur. Si cette guerre reste aujourd’hui virtuelle, elle pourrait demain devenir bien réelle. Par accident, par calcul ou par désespoir.

À force de jouer avec les braises pour rallumer leur légitimité, les dirigeants régionaux risquent d’embraser toute la savane. La vraie question n’est pas « Y aura-t-il guerre ? », mais « Combien de temps encore cette illusion de stabilité tiendra-t-elle ? ».

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