La nouvelle capitale égyptienne futuriste surnommée Sissi-City La nouvelle capitale égyptienne futuriste surnommée Sissi-City

L’Égypte, entre utopie moderne et contrôle autoritaire : plongée au cœur de Sissi-City

La Folie de « Sissi-City », la nouvelle capitale d’Égypte qui ambitionne de réécrire l’histoire de l’urbanisme dans le pays.

Avec ses 750 kilomètres carrés, une tour obélisque culminant à 394 mètres de haut, des parcs démesurés et des infrastructures gouvernementales imposantes, la nouvelle capitale d’Égypte, surnommée « Sissi-City », ambitionne de réécrire l’histoire de l’urbanisme égyptien. Inspirée par les folies architecturales des pays du Golfe, cette ville, projet phare du président Abdel Fattah al-Sissi, émerge au cœur du désert pour devenir le siège administratif du pays. Toutefois, au-delà de l’ambition architecturale, cette entreprise titanesque révèle l’ambition d’un pouvoir de plus en plus autoritaire, déterminé à se distancer de l’histoire turbulente du Caire.

Une mégapole au milieu du désert : un défi pour l’avenir

Annoncé en 2015, ce projet titanesque doit soulager Le Caire de sa pression démographique étouffante, où vivent aujourd’hui près de 23 millions de personnes. La capitale, déjà marquée par une croissance démographique fulgurante et des embouteillages paralysants, porte les stigmates d’une économie en difficulté, avec un taux de chômage important chez les jeunes et une dépendance alimentaire à hauteur de 60 %. Sur fond de désert, à une cinquantaine de kilomètres du Caire, Sissi-City s’élève donc avec pour promesse de devenir un centre moderne, accueillant six millions d’habitants, un million de logements, et l’ensemble des institutions politiques du pays, tout en offrant des infrastructures colossales, dignes d’une nouvelle époque.

Sissi-City, l’arène d’une centralisation du pouvoir

Pour al-Sissi, l’enjeu ne se limite pas seulement à construire une ville. Cette ville, présentée comme un remède aux problèmes du pays, vise aussi à recentrer les institutions politiques dans un lieu sécurisé et conçu pour être isolé des symboles historiques de révolte du Caire. En 2011, le soulèvement populaire de la place Tahrir avait précipité la chute de Hosni Moubarak, et, depuis, al-Sissi s’attache à minimiser tout point de rassemblement capable de mettre en danger son pouvoir. En déplaçant les institutions à Sissi-City, il espère éclipser l’héritage de la place Tahrir et rendre plus difficile toute mobilisation spontanée.

Cette centralisation ne se fait pas sans une politique d’opacité et de corruption. Les entreprises de BTP, majoritairement liées à l’armée et aux généraux proches du pouvoir, profitent de la manne financière que représente ce chantier monumental, déjà chiffré à 60 milliards d’euros. En parallèle, la pression sur les caisses de l’État s’intensifie : des terrains sont vendus massivement à des investisseurs étrangers, notamment aux pays du Golfe, accentuant une dépendance économique toujours plus forte.

le coeur de Sissi-City

Forum Urbain Mondial : un coup de projecteur controversé

En novembre 2024, la douzième édition du Forum Urbain Mondial, organisée par l’ONU-Habitat, y tiendra ses débats sur le thème « Tout commence chez-soi : Actions locales pour le développement durable des villes et des communautés. » Cet événement attire plus de 6 000 participants de 102 organisations à travers 49 pays, venus échanger sur l’urbanisation durable. Cependant, ce choix de ville soulève des interrogations quant à la contradiction entre l’idéal de développement durable et les réalités de Sissi-City. Le projet ignore en effet des questions écologiques fondamentales, s’installant dans une région désertique, soumise à des problèmes hydriques aggravés par le barrage de la Renaissance en Éthiopie, qui réduit la capacité agricole du pays. En bâtissant un parc deux fois plus grand que Central Park, le gouvernement semble prioriser une image de modernité sur la gestion responsable des ressources limitées.

Une fuite en avant : la démesure égyptienne au service de l’autorité

Depuis des décennies, les dirigeants égyptiens entretiennent la tradition des mégaprojets pour consolider leur pouvoir et faire face à des défis internes. Comme les pharaons qui ont fait ériger les pyramides, al-Sissi se voit en bâtisseur, utilisant ces infrastructures pour légitimer son régime, mais au risque de fragiliser davantage l’économie nationale. En doublant le canal de Suez, en lançant une ligne de TGV, ou en édifiant un musée égyptien, le président promeut une image de grandeur tandis que les besoins quotidiens de la population, tels que l’accès à l’eau, l’emploi et la sécurité alimentaire, restent des urgences sans réponse adéquate.

Malgré les promesses d’une capitale florissante, Sissi-City pourrait bien n’être qu’un mirage dans le désert, une réponse superficielle à des crises profondes et multifactorielles. Loin d’être un remède, elle pourrait finalement s’avérer être le reflet d’une administration dépassée, qui mise sur la grandeur pour compenser une vision à court terme, rendant son équilibre social et économique plus précaire. Pour un peuple égyptien qui lutte chaque jour pour ses moyens de subsistance, Sissi-City semble plus une vitrine de prestige qu’un vecteur réel de changement.

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