9 mai : ce que la Russie célèbre, et ce que l’histoire oublie
Chaque 9 mai, Moscou célèbre sa “Grande Victoire”. Parades, drapeaux, chars et martèle idéologique : “Nous avons vaincu le nazisme.” Ce n’est pas faux. Mais ce n’est pas toute la vérité.
Car avant d’être le libérateur, l’Union soviétique fut, au départ, le complice.
Un pacte qui change tout
Le 23 août 1939, l’Allemagne d’Hitler et l’URSS de Staline signent un pacte de non-agression. Dans ses coulisses, un protocole secret : l’Europe de l’Est est découpée en zones à envahir. Deux semaines après l’invasion allemande, l’armée rouge entre en Pologne par l’Est. Les deux dictateurs se partagent un pays souverain, sous les yeux d’une Europe tétanisée.
Sans ce pacte, il est fort probable que Hitler n’aurait jamais osé déclencher la guerre.
Car se battre contre la France, le Royaume-Uni et la Russie, c’était suicidaire. Hitler le savait.
Le pacte germano-soviétique lui offre ce qu’il cherche : la garantie d’un front unique. La guerre peut commencer.
Complices d’hier, héros d’aujourd’hui ?
Le paradoxe est là : le régime soviétique a facilité le déclenchement de la guerre qu’il prétend avoir “sauvée”. C’est vrai qu’il a ensuite résisté, souffert, vaincu. Mais ce retournement ne peut pas faire oublier le point de départ.
Le 9 mai, la Russie ne commémore pas seulement la victoire contre le nazisme.
Elle célèbre une version réécrite de l’histoire où elle n’aurait jamais pactisé avec lui.
Et si l’URSS avait dit non au Pacte germano-soviétique ?
Revenons à la question centrale : la Seconde Guerre mondiale aurait-elle eu lieu sans le pacte germano-soviétique ?
Car ce que cherche Hitler à l’été 1939, ce n’est pas une guerre mondiale. C’est une conquête éclair, une démonstration de force qui lui permettrait d’annexer la Pologne sans déclencher une réaction en chaîne. Or, il sait parfaitement qu’une invasion de la Pologne risque de pousser la France et le Royaume-Uni à réagir. Ce qu’ils feront. Mais ce qui l’inquiète surtout, c’est la Russie. Une Russie encore traumatisée par la guerre de 14-18, certes, mais puissante, massive, redoutée. Une Russie capable de le forcer à se battre sur deux fronts, comme en 1914.
Et Hitler n’est pas suicidaire. Pas encore.
Il veut éviter à tout prix ce scénario. Il veut sécuriser son flanc Est pour concentrer ses forces à l’Ouest. Et pour ça, il est prêt à avaler une couleuvre idéologique : s’allier temporairement avec le communisme qu’il abhorre.
C’est ce que lui offre le pacte Molotov-Ribbentrop. Une trahison idéologique, peut-être. Mais une bénédiction stratégique.
Le 23 août 1939, il obtient ce qu’il voulait : la neutralité bienveillante de l’URSS, et même son accord pour se partager la Pologne.
Dès lors, il sait que la guerre sera contenue. Que l’URSS n’interviendra pas. Que les Alliés, isolés, réagiront sans véritable coordination.
Le pacte, en somme, lui ouvre la voie royale vers Varsovie.
Il ne restait plus qu’à appuyer sur la gâchette.
Mais imaginons un instant que Staline ait dit non. Qu’il ait refusé de signer. Qu’il ait averti qu’il défendrait militairement la Pologne si elle était attaquée.
Alors tout change.
Car dans ce cas, Hitler se retrouve face à un dilemme tactique insurmontable :
– soit il recule, et perd la face ;
– soit il attaque quand même, et affronte une coalition Est-Ouest dès le premier jour du conflit.
Et dans cette hypothèse, l’Allemagne de 1939, bien qu’elle ait réarmé en vitesse, n’a ni les stocks, ni les blindés, ni les ressources humaines et industrielles pour soutenir une guerre sur deux fronts. Pas encore. Il lui fallait du temps. Il lui fallait des alliances. Il lui fallait ce pacte.
Sans le feu vert de Staline, il est probable que l’invasion de la Pologne aurait été annulée.
Et sans invasion, il n’y a pas de déclaration de guerre.
Sans déclaration de guerre, pas de conflit mondial.
Il ne faut pas oublier, non plus, que c’est Hitler qui a rompu le pacte germano-soviétique et non pas Staline.
Autrement dit, le pacte germano-soviétique n’a pas seulement précédé la guerre. Il l’a rendue possible.
Et ceux qui veulent aujourd’hui l’effacer des livres d’histoire font plus que trahir la mémoire des morts : ils construisent une légende politique sur un mensonge fondateur.
Se souvenir, c’est aussi ne pas simplifier les faits
La mémoire n’est pas un champ de bataille, mais elle peut devenir une arme.
La Russie actuelle l’a bien compris. Chaque 9 mai est une démonstration de puissance autant qu’un effacement stratégique : on gomme 1939 pour glorifier 1945.
Mais l’histoire n’est pas un clip de propagande.
Ce que Staline a signé, des millions de morts l’ont payé.
Et aujourd’hui encore, célébrer cette “victoire” sans rappeler le pacte qui l’a précédée, c’est perpétuer une demi-vérité.
Que serait devenu le monde si Hitler n’avait pas trahi Staline ? Une chose est sûre : il n’y aurait ni 9 mai célébré à Moscou, ni 8 mai commémoré dans le reste de l’Europe.
« Le 9 mai, la Russie commémore une victoire sur le nazisme qu’elle a rendue possible… après l’avoir d’abord rendue nécessaire. »