La mer Rouge, artère vitale du commerce mondial, est devenue en cinq mois le théâtre d’une escalade militaire sans précédent. Entre attaques houthistes et rivalités géopolitiques, la stabilité régionale est gravement menacée.
Une crise déclenchée par la géopolitique régionale
La mer Rouge, carrefour stratégique du commerce mondial, est devenue en cinq mois le théâtre d’une escalade sans précédent. Tout commence le 19 octobre 2023 lorsque les Houthis, soutenus par l’Iran, lancent une série d’attaques visant Israël et des navires commerciaux. Dans un contexte marqué par les tensions autour de Gaza, les rebelles yéménites, opérant depuis les côtes qu’ils contrôlent, affichent une double revendication : punir Israël et ses alliés pour les violences à Gaza et défendre la souveraineté yéménite contre les puissances occidentales.
Cette vague d’attaques a rapidement pris une dimension internationale. Dès décembre 2023, l’opération américaine « Prosperity Guardian » réunit plusieurs nations alliées, mais échoue à endiguer les frappes. En février 2024, l’Union européenne lance « Aspides », visant exclusivement à protéger la navigation commerciale. Cependant, ces mesures n’ont pas réussi à éradiquer la menace.
Les Houthis, grâce à un arsenal sophistiqué d’origine iranienne, multiplient les attaques. Missiles balistiques, drones de pointe et navires suspects comme le cargo iranien Behshad ajoutent à l’incertitude et alimentent les soupçons de collusion entre Téhéran et les rebelles. Ce soutien iranien place la mer Rouge au centre des rivalités régionales, notamment entre l’Iran et ses voisins saoudiens et égyptiens.
Impact sur la navigation et l’économie mondiale
Les attaques ont frappé durement le commerce mondial. Environ 12 % des échanges mondiaux transitent par la mer Rouge, y compris 30 % du trafic de conteneurs et 7 millions de barils de pétrole par jour. L’insécurité croissante dans le détroit stratégique de Bab el-Mandeb pousse des armateurs comme A.P. Moller-Maersk à éviter la zone, provoquant des détours coûteux autour de l’Afrique.
L’attaque du Rubymar, cargo battant pavillon bélizien, en février 2024, marque un tournant. Coulé après une attaque houthiste, il laisse derrière lui une marée noire qui accentue les pressions environnementales et économiques. Les hausses temporaires des prix du gaz et du pétrole, bien que contenues, révèlent la vulnérabilité des marchés mondiaux face à cette crise.
La navigation militaire aussi est ciblée. Des destroyers américains et britanniques, ainsi que des frégates européennes, doivent défendre non seulement les convois commerciaux, mais aussi leurs propres navires contre des assauts réguliers. Les cyberattaques, dont celle contre la frégate allemande Hessen, ajoutent une nouvelle dimension à ce conflit.
Un conflit en Mer Rouge sans solution immédiate
Malgré les interventions internationales, la situation reste hors de contrôle. Les Houthis, renforcés par leur popularité dans le monde musulman en raison de leur soutien affiché à la cause palestinienne, ne montrent aucun signe de recul. Les frappes américaines et britanniques, qui ont touché plus de 230 sites houthistes, n’ont pas réduit les capacités offensives des rebelles.
L’implication de l’Iran, notamment via des livraisons d’armes et des manœuvres géopolitiques telles que la tentative de création d’une base navale au Soudan, complique encore la résolution du conflit. En parallèle, les tensions avec Israël et l’impact de la guerre en Gaza renforcent les hostilités, rendant toute solution diplomatique improbable.
L’espoir d’un apaisement à travers des négociations entre l’Arabie saoudite et les Houthis semble s’éloigner. Le processus de paix, amorcé en 2022 avec l’aide des Nations unies, est aujourd’hui paralysé par l’intensité des attaques et les répercussions internationales.
Une escalade aux conséquences globales
La crise en mer Rouge illustre à la fois les limites des interventions militaires et la complexité des conflits régionaux dans un monde globalisé. Alors que les Houthis continuent de frapper, les pertes économiques, écologiques et humaines s’accumulent. L’implication croissante de l’Iran dans cette zone stratégique exacerbe les tensions entre grandes puissances, plaçant le commerce mondial dans une position précaire.
Sans une action coordonnée et des négociations de paix inclusives, ce conflit menace de s’enliser, avec des conséquences potentiellement désastreuses pour la stabilité régionale et le commerce international. La mer Rouge, artère vitale de l’économie mondiale, pourrait bien devenir le symbole d’un échec collectif face aux défis géopolitiques du XXIe siècle.
Liste chronologique des attaques et événements marquants en mer Rouge 2023 à début 2024
Octobre 2023
- 19 octobre : Les Houthis lancent missiles et drones contre Israël. Le destroyer américain USS Carney intercepte trois missiles de croisière et huit drones.
Novembre 2023
- 8 novembre : Un drone américain MQ-9 Reaper est abattu par les Houthis.
- 19 novembre : Capture du cargo Galaxy Leader par les Houthis, conduit à Hodeïdah.
- 24 novembre : Le porte-conteneurs CMA CGM Symi est attaqué, potentiellement par l’Iran.
- 26 novembre : Le pétrolier Central Park est capturé par des pirates somaliens, avant d’être libéré par l’USS Mason sous le feu de missiles balistiques houthis.
- 30 novembre : Plusieurs missiles frôlent le MSC United VIII.
Décembre 2023
- 3 décembre : Le destroyer USS Carney abat trois drones visant les navires Unity Explorer, Number 9 et Sophie II.
- 12 décembre : Le chimiquier Strinda est touché par des missiles houthis, provoquant un incendie.
- 13 décembre : Attaque manquée contre le pétrolier Ardmore Encounter. Le destroyer Mason abat un drone.
- 14 décembre : Un missile rate le porte-conteneurs Maersk Gibraltar.
- 15 décembre : Les navires libériens MSC Alanya et MSC Palatium III sont attaqués. Le Al-Jasrah est endommagé.
- 18 décembre : Les cargos MSC Clara et Swan Atlantic subissent des attaques.
- 23 décembre : Le destroyer Laboon abat quatre drones.
- 30-31 décembre : Le Maersk Hangzhou est touché par un missile et repousse une attaque de quatre canonnières.
Janvier 2024
- 1er janvier : La frégate iranienne Alborz entre en mer Rouge.
- 12 janvier : Les Houthis tirent par erreur sur le MT Khalissa transportant du pétrole russe.
- 15 janvier : Le Gibraltar Eagle est légèrement endommagé.
- 16 janvier : Le Zografia est touché par un missile balistique mais poursuit sa route.
- 17 janvier : Le vraquier Genco Picardie est attaqué par un drone.
- 24 janvier : Attaque sur le Maersk Detroit transportant une cargaison militaire.
- 26 janvier : Le USS Carney abat un missile visant un pétrolier.
Février 2024
- 6 février : Les navires Morning Tide et Star Nasia subissent des dégâts mineurs.
- 18 février : Le cargo Rubymar est gravement endommagé et finit par sombrer, provoquant une pollution maritime.
- 19 février : Le vraquier Sea Champion est touché.
- 26 février : Les Houthis attaquent quatre câbles de communication sous-marins essentiels.
Mars 2024
- 4 mars : Le MSC Sky II est incendié par deux missiles.
- 6 mars : Le True Confidence est touché par un missile, provoquant des pertes humaines.
- 8 mars : Le vraquier Propel Fortune est ciblé par des missiles, sans être touché.
Cette chronologie reflète l’intensité croissante et la diversité des attaques en mer Rouge, mettant en lumière les risques pour la navigation commerciale et militaire dans cette région stratégique.