L’idée qu’on se fait de l’esclavage appartient souvent au passé : chaînes, cales de bateaux, champs de coton. Pourtant, plus de 50 millions de personnes vivent aujourd’hui en situation d’esclavage moderne, selon l’ONU. Et parmi elles, plus d’un tiers sont des enfants. Pas une image d’Épinal.
Un fait contemporain.
Traite des êtres humains / esclavage moderne : 245 milliards $ (exploitation sexuelle, travail forcé, enfants soldats…).
Dans les ruelles de Medellín, les périphéries de Lagos, les bidonvilles de Manille ou les serveurs anonymes des grandes capitales occidentales, l’enfance est exploitée, vendue, numérisée. Parfois à la vue de tous, souvent dans le silence.
Afrique : enfants soldats, fillettes captives, filières de traite
En République démocratique du Congo, jusqu’à 30 % des effectifs de certains groupes armés sont composés d’enfants. Certains ont 10 ans. Ils tuent, violent, ou sont eux-mêmes violés. En République centrafricaine, malgré les traités, plus de 10 000 enfants seraient encore enrôlés dans des milices. Le Burkina Faso a enregistré, en 2024, au moins 169 recrutements d’enfants par des groupes djihadistes. Derrière chaque chiffre, une vie détruite.
Les fillettes, elles, tombent entre les mains des groupes terroristes ou des réseaux de traite. L’enlèvement de 276 jeunes filles à Chibok par Boko Haram, en 2014, n’était pas un cas isolé. Une partie d’entre elles a été mariée de force à des combattants, une autre vendue à des réseaux transfrontaliers. Des dizaines de milliers d’autres enfants ont disparu depuis, souvent sans faire la une.
Selon l’UNICEF, plus de 200 millions de femmes et de filles vivant aujourd’hui dans 30 pays, principalement en Afrique, mais aussi au Moyen-Orient et en Asie, ont subi une mutilation génitale. Chaque année, plus de 4 millions de jeunes filles risquent d’y être soumises. Il serait trop simple d’en faire une affaire “de là-bas”. Des fillettes excisées vivent aussi en Europe, en France, en Grande-Bretagne, après avoir été emmenées clandestinement dans leur pays d’origine pour y subir la “coupure”.
Asie : le poids du silence et de la demande mondiale
En Asie du Sud-Est, le tourisme sexuel impliquant des mineurs reste une réalité bien documentée. En Thaïlande, au Cambodge, aux Philippines ou encore au Vietnam, les enfants sont parfois “loués” à des clients étrangers, moyennant la complicité de réseaux locaux, de policiers ou de propriétaires d’hôtels. Une enquête menée par ECPAT International estimait en 2016 que les abus sexuels commis sur mineurs dans la région touchaient un enfant sur six dans certaines zones sensibles. Et cela ne concerne plus uniquement des touristes occidentaux : la majorité des abuseurs sont désormais asiatiques, preuve que le phénomène s’enracine.
À cela s’ajoute l’explosion des contenus d’abus en ligne. Les Philippines sont devenues, malgré elles, l’un des principaux centres mondiaux de diffusion de vidéos pédocriminelles en direct, facilitées par l’extrême pauvreté et la généralisation des smartphones.
Amérique latine : filières organisées, pauvreté exploitée
En République dominicaine, les réseaux de traite exploitent les enfants dans les zones touristiques de Boca Chica ou de Sosúa. En Colombie, selon un rapport de Human Rights Watch, les groupes armés utilisent les enfants non seulement comme combattants, mais aussi comme esclaves domestiques ou sexuels. Au Brésil, au Salvador, au Pérou, des adolescentes sont ciblées par des recruteurs qui leur promettent du travail à l’étranger, pour ensuite les livrer à des filières opérant en Europe, au Moyen-Orient ou dans le Golfe.
En Haïti, l’UNICEF estime qu’environ 60 % des enfants vivant dans des institutions sont victimes d’abus ou de négligence, et certains sont “adoptés” dans des conditions proches du trafic d’êtres humains.
L’Europe : hébergeur, transit, parfois client
En 2023, 62 % des contenus pédopornographiques signalés dans le monde étaient hébergés dans l’Union européenne, les Pays-Bas arrivant en tête, suivis de l’Allemagne et de la France. La rapidité des serveurs et l’insuffisance de la législation en matière de retrait de contenus en ligne expliquent cette domination technique.
Mais l’Europe n’est pas qu’un hébergeur. C’est aussi un acteur actif dans les flux d’enfants. À Paris, Bruxelles ou Milan, de jeunes filles nigérianes sont exploitées dans des réseaux bien rodés, souvent après un passage par la Libye ou la Côte d’Ivoire. En Europe de l’Est, des enfants Roms sont forcés à la mendicité ou à la prostitution.
Quant à la demande, elle est bien réelle. La Commission européenne estimait en 2022 qu’un enfant sur cinq en Europe subit des violences sexuelles au cours de sa vie, dont une partie par des membres de leur entourage. Le prédateur n’est pas toujours un inconnu.
États-Unis : le paradoxe de la puissance
Les États-Unis concentrent à la fois les moyens les plus avancés de détection et un nombre élevé de cas. En 2023, le NCMEC (Centre national pour les enfants disparus et exploités) a recensé 36,2 millions de signalements de contenus pédopornographiques. Ce chiffre ne reflète pas seulement une demande interne, mais aussi la centralité des infrastructures numériques américaines dans le monde.
Une étude relayée par The Guardian en mai 2024 estimait que 14 millions d’hommes américains avaient déjà commis une infraction en ligne impliquant un mineur. Ce chiffre n’est pas un verdict, mais un signal d’alarme.
Russie : un acteur discret mais actif du trafic sexuel d’enfants
La Russie est confrontée à des problèmes internes liés à l’exploitation sexuelle des enfants. Selon des rapports, des cas de prostitution infantile ont été signalés, bien que les autorités russes aient parfois minimisé l’ampleur du phénomène. Par exemple, lors d’un examen par le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies, la délégation russe a affirmé que la prostitution d’enfants n’existait pas en Fédération de Russie, à l’exception de quelques cas isolés.
Cependant, des enquêtes ont révélé des cas de trafic d’enfants à des fins d’exploitation sexuelle. Par exemple, en 2012, un article du Point rapportait que la Russie découvrait les ravages de la pédophilie, avec une augmentation significative des crimes sexuels contre des enfants.
Depuis le début du conflit avec l’Ukraine, plus de 19 500 enfants ukrainiens ont été identifiés comme ayant été enlevés et transférés de force vers la Russie ou des territoires occupés. Ces enfants sont souvent séparés de leurs familles lors de « camps de filtration » où les civils ukrainiens sont interrogés et triés. Une fois en Russie, ces enfants sont placés dans des foyers ou des institutions, où ils subissent une russification forcée : changement de nom, adoption de la nationalité russe, et endoctrinement idéologique. Certains sont même soumis à une formation militaire, selon des rapports récents.
Un crime rentable, sans frontières, sans statut, sans couleur
Le trafic d’enfants à des fins d’exploitation sexuelle et économique ne connaît pas de frontières. Il prospère sur la misère, les conflits, les migrations, mais aussi sur des infrastructures technologiques de pointe, des États défaillants et une demande mondiale.
Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), les profits annuels générés par le travail forcé et l’exploitation sexuelle forcée s’élèvent à environ 236 milliards de dollars.
Selon une mise à jour de l’organisation Hope for Justice, l’esclavage moderne et la traite des êtres humains génèrent des profits illicites de plus de 245 milliards de dollars par an. L’exploitation sexuelle, en particulier, représente une large part de ce chiffre, car elle est la plus rentable. Et dans ce système, les enfants représentent 1/3 de ce « chiffre d’affaire ».
Selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), 38 % des victimes détectées de la traite en 2022 étaient des enfants, soit une augmentation de 31 % par rapport à 2019. Une croissance qui dépasse celle des efforts de lutte, preuve que les réseaux s’adaptent plus vite que les lois.
Ce fléau est l’un des rares où la mondialisation fonctionne à plein régime : réseaux flexibles, logistique discrète, clients mondiaux. Les trafiquants coopèrent mieux que les États.
Le silence est l’allié de cette industrie. Et le déni, son carburant
Sources :
Rapport mondial de l’ONUDC sur la traite des êtres humains
How much money is made by human trafficking and modern slavery?
La Russie, après le tabou soviétique, découvre les ravages de la pédophilie