Chaque enfant mort sous les coups d’un autre enfant est un drame. Le drame de Nogent ce mardi 10 juin 2025 est évidemment affreux et dramatique. Un drame absolu, que notre société ne peut plus, ou ne veut plus, accepter. Il est sain qu’elle ne s’y habitue pas. Mais est-ce pour autant un phénomène nouveau ? La réalité mérite mieux qu’une émotion brute ou une indignation médiatique opportuniste. Car derrière la sidération, il y a aussi une histoire à regarder en face. La gesticulation médiatique n’est pas une forme de respect envers les victimes.
De Gavroche aux blousons noirs : jeunesse et violence à travers les âges
La violence juvénile ne date pas d’hier. Dès le XVIIIe siècle, la société monarchique dénonce les enfants trouvés, errants, parfois mendiants, souvent délinquants. Certains, livrés à eux-mêmes, tuent pour voler. Les bandes de jeunes pullulent dans les faubourgs de Paris.
La Révolution française met en scène de très jeunes sans-culottes. Le romantisme noir du XIXe siècle, avec Victor Hugo, dresse le portrait de Gavroche, enfant des rues, rebelle, courageux, mais aussi exposé à la violence de la rue comme aux fusils de la garde nationale.
Avec les colonies pénitentiaires comme Mettray, la république entend redresser ces jeunes par le travail et la discipline brutale. Mais les faits restent. La « bande à Bonnot » au début du XXe siècle, les « Apaches » dans les rues de Paris, les « blousons noirs » des années 1950 ou les émeutes de banlieue dès 1981 à Vaulx-en-Velin : la jeunesse violente existe depuis toujours, sous des visages différents.
Aujourd’hui : plus de peur que de mal ?
Chaque vie perdue est véritablement un drame. Pourtant les données récentes invitent à nuancer l’alarme. Entre 2018 et 2022, les délits mineurs commis par des jeunes ont baissé de 40 %, les délits graves de 33 %. Le nombre de mineurs condamnés recule depuis 2017. Cette baisse est démontrée, même si des cas tragiques peuvent donner l’illusion d’une spirale incontrôlable.
Dans les établissements scolaires, les violences graves restent rares : 12,2 incidents graves pour 1 000 élèves en 2018-2019. Moins d’un pour cent. La majorité sont verbaux. Sauf que 2025 semble très mal démarrer avec ces drames à répétition devant, dans et aux abords des établissements scolaires.
Il faut aussi regarder les causes. Le jeune violent est souvent un jeune abîmé. Il ne faut pas nier la violence, mais la comprendre. Quant à la culture, elle ne fait que refléter ce que la société ne veut pas toujours voir : l’isolement, l’humiliation, la quête d’appartenance. Le jeune qui frappe, c’est parfois le Gavroche de notre temps qui n’a plus de barricade, juste un écran de téléphone mobile et des poings.
Une société tout entière sous tension
Il serait illusoire de penser que la jeunesse vit dans une bulle. La violence s’invite aujourd’hui à tous les étages de notre société. Elle est dans les hémicycles, où les invectives remplacent parfois le débat. Elle est sur les pancartes, où des figures politiques sont représentées pendues ou décapitées. Elle est dans les rues, où les manifestations, quelles qu’en soient les causes, virent trop souvent à l’affrontement.
Elle est dans les foyers, où l’angoisse monte face à un avenir incertain, à des fins de mois toujours plus difficiles, à des conflits armés aux portes de l’Europe qui réveillent de vieilles peurs. Elle est surtout sur les réseaux sociaux, qui diffusent, amplifient, et banalisent une brutalité verbale permanente.
L’année 2025 commence d’ailleurs sous de sombres auspices. Plusieurs attaques au couteau impliquant des adolescents ont déjà émaillé le territoire. Le phénomène est marginal en volume, mais terriblement symbolique. Il révèle un climat. Une ambiance. Et pose une question crue : comment espérer une jeunesse paisible dans un monde qui ne l’est plus ?

Les médias devraient faire très attention : à l’image des voitures brûlées chaque Saint-Sylvestre, la surmédiatisation de certains actes violents agit comme un miroir déformant et suggestif. En mettant systématiquement en lumière chaque dérapage, ils risquent de nourrir une spirale mimétique où d’autres jeunes, en mal de repères, trouvent dans cette exposition un modèle néfaste et funeste.
Réenchanter sans désincarner
Et si déjà, on appliquait les lois votées ? Beaucoup de mesures existent, souvent équilibrées, rarement suivies d’effet. Le problème est moins l’échelle des peines que la cohérence de leur exécution. L’effet d’exemple suppose qu’on montre qu’on agit, pas qu’on parle.
Il faut rappeler la notion du bien et du mal à notre jeunesse. Il s’agit plus souvent de jeunes à qui on n’a pas mis de limite plutôt que, comme on l’entend, de jeunes qui ont besoin de suivis psychiatriques. Évoquez la folie permet juste d’évacuer l’inacceptable au lieu de lutter contre.
Mais surtout, il faut se demander : comment réenchanter la jeunesse ? Pas avec des caméras dans les classes ou des menottes dans les cartables. Certainement pas avec une médiatisation morbide de faits divers qui transforment chaque collège en Zola de pacotille.
Donner un sens, un cap, une responsabilité. Recréer du lien, de l’exigence et de la dignité. Ce n’est pas l’indulgence qu’il faut, c’est la réinvention du contrat moral entre une société et sa jeunesse.
La violence est un symptôme. Ce qu’elle dit de nous, voilà le vrai sujet.