Une société en quête de repères et d’idéal
Depuis la sécularisation massive des sociétés occidentales, une question obsède philosophes et sociologues :
Comment trouver un sens dans la société moderne ?
Comment recréer un sens collectif dans un monde « débarrassé » des anciens dogmes religieux ?
Richard Malka, dans Après Dieu, affirme que « si l’embryon de civilisation universaliste, laïque, rationaliste, issue des Lumières voltairiennes, ne propose pas un sens, un rêve, une ambition, un destin, alors ce modèle de société disparaîtra face à des idéologies nihilistes, des politiques extrémistes ou des religions concurrentes ». Cette réflexion souligne l’urgence de trouver un nouveau souffle, un projet commun qui puisse rassembler et inspirer les individus.
Richard Malka souligne la nécessité d’un grand récit collectif pour éviter l’effondrement de la société face aux idéologies extrêmes. Notre propos n’entend pas contredire cette idée, mais l’enrichir : ce grand récit ne peut exister sans des individus qui trouvent d’abord un sens personnel à leur existence. Mais plutôt que de chercher un grand récit collectif artificiel, ne faudrait-il pas commencer par offrir à chaque individu une boussole personnelle, un modèle structurant ? En effet, c’est à partir de la somme des aspirations individuelles que peut émerger une vision collective forte et durable.
L’importance du Maître : Un guide pour la vie
L’éducation n’a jamais été qu’une simple transmission de savoirs académiques. Elle repose sur l’éducation et la transmission des valeurs, essentielles pour structurer une société harmonieuse. Historiquement, les enseignants étaient bien plus que de simples professeurs ; ils étaient des figures inspirantes, des guides de vie. Ils portaient une blouse, imposaient une autorité naturelle et incarnaient un modèle à suivre. Leur rôle dépassait largement le cadre scolaire, influençant profondément la formation morale et éthique des élèves et forçant le respect des parents
Jean-Jacques Rousseau, dans Émile ou De l’éducation, défendait déjà l’idée qu’éduquer ne consiste pas à remplir un cerveau d’informations, mais à guider un être vers sa propre autonomie éclairée. Platon, dans La République, expliquait lui aussi que sans guide, l’homme restait enchaîné à ses illusions, prisonnier de sa propre ignorance. Ces penseurs mettaient en lumière l’importance d’une éducation qui ne se contente pas de transmettre des connaissances, mais qui éveille également l’esprit critique et la conscience de soi.
La modernité a pourtant brisé ces figures structurantes. Le système éducatif, en voulant égaliser toutes les trajectoires, a affaibli la reconnaissance des talents et la possibilité pour un maître de jouer son rôle de mentor bienveillant. Cette uniformisation a souvent conduit à une perte de repères, où l’excellence et l’exemplarité peinent à trouver leur place.
La disparition des figures de référence : Une société en quête de modèles
Autrefois, la société reconnaissait des figures de référence : le médecin du village, le maître d’école, l’artisan expérimenté, des modèles inspirants que l’on regardait avec admiration. Ces « notables » n’étaient pas uniquement des détenteurs de savoir technique ; ils étaient les piliers d’une société structurée. Leur présence rassurante et leur expertise reconnue contribuaient à tisser un lien social fort et à transmettre des valeurs essentielles.
Tocqueville, dans De la Démocratie en Amérique, mettait en garde contre un égalitarisme forcené, qui détruirait toute forme d’excellence et conduirait à une atomisation des individus. Aristote considérait quant à lui qu’une société ne pouvait fonctionner sans hiérarchie naturelle et sans reconnaissance des rôles essentiels. Ces réflexions montrent que l’égalité ne doit pas se faire au détriment de la valorisation des compétences et des talents, sous peine de créer une société dépourvue de repères et de modèles inspirants.
La modernité a balayé ces modèles, et aujourd’hui, en l’absence de figures inspirantes, la jeunesse, mais aussi toutes les couches sociales, se cherchent des repères dans des idoles superficielles, souvent dictées par le prisme médiatique. Cette quête de sens se heurte à une culture de l’éphémère et de l’apparence, où les véritables valeurs peinent à émerger. Dans un monde où l’image et la notoriété instantanée priment, il devient difficile de discerner des modèles authentiques et durables, capables de guider et d’inspirer chacun dans sa quête de sens.
Valoriser la somme des individus : L’exemple comme moteur
Comment redonner du sens à l’individu sans retomber dans une pensée dogmatique ou figée ? La clé réside dans la reconnaissance de toutes les formes de contribution à la société. Chaque individu, par ses talents et ses compétences, peut apporter une pierre à l’édifice collectif.
Un exemple concret et récent illustre cette dynamique : la reconstruction de Notre-Dame de Paris. Ce chantier titanesque a mobilisé des maîtres, des apprentis, des artisans de tous métiers, mais aussi des logisticiens, des transporteurs, et des restaurateurs pour nourrir les travailleurs. Cette coopération a montré ce qui est possible lorsque des individus trouvent leur place et unissent leurs talents pour un but commun. Ce projet prouve que lorsque chacun est ancré dans son rôle et conscient de sa valeur, un sens commun émerge naturellement. La reconstruction de Notre-Dame est ainsi devenue un symbole de résilience et de cohésion sociale, où chaque contribution, aussi modeste soit-elle, trouve sa place et sa reconnaissance.
Simone Weil, dans La Condition ouvrière, affirmait que « l’homme n’a pas besoin de luxe ni de confort, il a besoin que la place qu’il occupe dans le monde ait un sens ». Hannah Arendt distinguait quant à elle trois types d’activités humaines : le travail (pour survivre), l’œuvre (ce que l’on construit), et l’action (ce qui nous relie aux autres). Ces réflexions invitent à repenser notre rapport au travail et à l’engagement, en valorisant non seulement la performance, mais aussi la contribution de chacun à un projet commun.
Aujourd’hui, la société met excessivement en avant la réussite économique et la performance individuelle, délaissant des formes de grandeur plus discrètes mais tout aussi essentielles. Nous devons rebâtir une société avec des modèles de référence, même simple. C’est une nécessité pour rétablir du sens et inspirer les générations futures. Il est temps de restaurer cet équilibre, en reconnaissant que la véritable richesse d’une société réside dans la diversité de ses talents et la complémentarité de ses contributions.
Cultiver l’exemplarité : Redonner une valeur authentique à chaque contribution
La solution à la crise du sens ne se trouve ni dans le retour des dogmes religieux ni dans une utopie d’égalité absolue. Elle passe par une éducation repensée, fondée sur l’exemplarité et la bienveillance, permettant à chaque individu de s’inscrire dans un récit où son travail et son engagement ont de la valeur. Cette éducation doit être un vecteur de transmission des valeurs et des savoirs, mais aussi un espace où chacun peut développer son potentiel et trouver sa voie.
Rebâtir des modèles inspirants, reconnaître l’importance de chaque contribution et redonner le goût de l’effort : voilà le véritable chantier du XXIe siècle. En offrant à chaque individu la possibilité de s’épanouir, nous pouvons redonner du sens à notre société et préparer un avenir où chacun trouve sa place et surtout sa raison d’être.